États des lieux 

Photographies, Avallon, France, 2023
Portrait de l’ancienne Tannerie d’Avalon avant transformation
Commanditaire : Association Rhizome 


C’est le plus lent des bras de fer, celui qui s’amorce quand les opérations de maintenance s’arrêtent net. Le temps commence à pousser, ça souffle, ça râpe, ça croît, ça frappe, ça tousse. Les murs décrépitent, les boues montent, les peintures craquent, les briques roulent, sur les enseignes la rouille dessine ce qu’elle veut. Les surfaces se troublent, les aplats se criblent, les compositions décampent, les fils s’effritent. Partout l’eau rentre, partout particules de matière érodée se mélangent au son du vent qui souffle et s’amalgament dans les coins, poussière de fer, de bois, de souffre. Les artefacts tournent en ruine, les messages se brouillent et l’orage gronde au loin. Le petit tas de bâtiment est planté seul à attendre ses prochains occupants, sous la pluie. Il en prend plein la tête, il se couvre de mousses, il en perd son crépi, il en pleure de dépit, il s’affaisse et les herbes grimpent gaiement sur ses croutes.

Dans cette entre deux vies, je me blottis. Je me promène, petit fantôme entre la route et le ruisseau, dans la zone friche qu’on laisse encore un peu dormir. Mais j’entends déjà les fanfares, les visseuses et les violons, je sens déjà les fromages et la bière au houblon, je vois déjà les gouttes de rosée frappées par un rayon sur des mollets poussiéreux couverts de chaussettes grisonnantes plongées dans des chaussures blindées. Je vois les planches en tas posées et recouvertes de bâches blanches, je vois les pneus énormes des engins qui bâtissent tournant au ralenti devant mon nez. Je vois des doigts poncés s’enfoncer dans des pains pour les ouvrir en deux et j’entends les rires et les voix de celles et ceux qui viennent avec la vie.

Avalon, le 19 septembre 2023